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De quelques réflexions et références sur le statut territorial des cimetières militaires en Belgique.
Statut territorial des cimetières militaires
Dossier exposé par
Didier STAMPART
Directeur Général de la Commune d’Aiseau-Presles
Vice-Président du Comité du Souvenir Français de l’Entre-Sambre-et-Meuse
Membre Affilié au Comité Royal du Souvenir de Le Roux
Il apparaît souvent que le statut des cimetières, nécropoles et monuments nationaux sur un territoire étranger soit compliqué à comprendre. Par exemple, quel statut est accordé aux cimetières américains et canadiens, britanniques, allemands en Normandie (près d’Omaha Beach- de Caen- de La Cambe, cimetière allemand en Normandie, près de Bayeux- de Juno Beach) ? Le statut des cimetières et nécropoles alliés en Somme ou à Verdun ?
Appartiennent-ils aux nations dont les soldats sont enterrés, sont-ils en terre concédées comme tout particulier qui dès lors relève de l’autorité locale ?
Une question posée sur le statut territorial, et donc la dépendance de la Nécropole de la Belle-Motte est exemplaire de cette difficulté.
On peut l’étendre aux tombes, éparpillées ou regroupées dans des cimetières de la région de l’Entre-Sambre-et-Meuse, de Charleroi.
La référence première de tout cimetière est la loi sur les tombeaux et sépultures qui donne aux communes responsabilités et prérogatives ou pouvoirs dits « de police administrative ».
La référence principale est la Constitution, certaines dispositions de la loi communale encore applicable sur des territoires précis et le code de la démocratie locale pour la région wallonne ou flamande, ou bruxelloise. Des éléments sont aussi importants dans les statuts communaux des cantons germanophones.
Bref, notre patchwork légal ou réglementaire (loi, niveau des parlements, règlement niveau des pouvoirs exécutifs et décentralisés… nuance essentielle notamment pour les applications et recours) est en soi assez coloré et varié mais ce n’est pas tout.
Les accords bi- ou multi -latéraux, les traités, les négociations entre gouvernements des pays concernés sont essentiels pour l’administration des nécropoles et cimetières.
Il faut aussi ajouter l’arsenal administratif généré par les communes, les comités spéciaux visant la gestion mémorielle ou territoriale et les éléments dont l’origine relève des premières discussions sur le sujet, dès la fin de la guerre 14-18 notamment. Sont joints au pur aspect historique ou mémoriel les dispositions sanitaires impératives, notamment pour les exhumations, les déplacements de corps ou de restes humains, les décisions des familles pour le maintien ou le rapatriement des corps.
Pensons à ces réflexions sur le pèlerinage dont la visite aux tombes est une forme « Les pèlerins offrent leurs efforts parfois jusqu’à leur vie pour atteindre l’objectif de leur quête » disent Jay Winter et Blaine Baggett, en 1997 dans « Le grand bouleversement » cités par Béatrix Pau. Elle précise aussi que l’entretien des sépultures, pendant le conflit et après, est confié notamment à la cocarde du Souvenir et le Souvenir Français(1), relevant l’aspect civil et familial, local, de ce devoir d’hommage, « afin d’accomplir au mieux leur devoir elles font donc appel (les associations) à la générosité des adhérents et des familles » (idem). Même dans la zone des combats, la remise en état et le placement d’une signalétique sont essentiels.
Il faut de plus, dans le cadre du pèlerinage, situer l’aspect contextuel du problème : ainsi des soldats belges enterrés en France (le cas de la Manche et des côtes nordistes est exemplaire) le sont du fait de combats, de séjour en hôpital, d’accidents en entraînement, etc. Des soldats français ou alliés sont enterrés dans des cimetières soit rassemblés par zone de conflit et période, soit par lieux précis des combats.
Il faut enfin préciser le support de la politique mémorielle, les monuments, les tombes individuelles, les ossuaires, les nécropoles et les plaques mémorielles intégrées à un bâtiment, de culte (chapelle, église) ou public (maison communale ou hôtel de ville, centre culturel ou siège d’association, éléments naturels ou monuments évocatoires en site naturel).
Bref, il ne suffit pas de mettre une plaque mémorielle. Il faut déterminer les modes de fonctionnements, les responsabilités et autorités compétentes, les droits et devoirs des familles, des communes, de l’armée, du partenaire étranger et comme dans tous les actes notariaux, cette mention de « temps immémoriaux » gérant les statuts des territoires !
Mais qu’en est-il de la situation des tombes militaires dans les premiers temps du conflit de 1914-1918 ?
L’Empire britannique se dote en 1918 de règles particulières dont le modèle a servi dans d’autres pays. Pour la France, qui s’adapte dès 1915 à une organisation par tombe individuelle dans un espace organisé pour les militaires quel que soit leur grade, la situation est la suivante : « le Parlement l’affirma solennellement par une loi du 29 décembre 1915 : « tout militaire mort pour la France a droit à une sépulture perpétuelle aux frais de l’État ». Les cimetières militaires mettent en œuvre ce principe à l’échelle des armées de 14-18, y compris pour les morts que les contraintes du combat avaient fait inhumer dans des tombes collectives.
Ce choix a conduit les divers pays à développer un monument d’un type nouveau, facilement reconnaissable par ses tombes alignées comme un régiment passé en revue : le cimetière militaire, qui marque certains paysages comme un sceau sur une charte médiévale. Or ces monuments ne sont pas seulement voués à leur fonction de sépulture des morts de la guerre. Ils obéissent à des contraintes administratives ou diplomatiques ; ils répondent à des projets complexes, politiques ou religieux ; ils prennent des formes architecturales tributaires de cultures nationales. Par la conception des tombes, le dispositif, la scénographie, ces projets débordent singulièrement le projet funéraire initial, d’autant qu’ils ont disposé de temps pour s’affiner.
En effet, les cimetières militaires ont été créés dans l’après-coup ; ils ne prennent pas exactement la suite des sépultures de guerre ; ils ne sont pas le simple prolongement ou l’extension des cimetières de fortune. Même si parfois leur projet a été conçu et précisé pendant le conflit (comme pour l’Empire britannique avec l’IWGC(2), ils ont été réalisés après la guerre, par le regroupement de tombes éparses ou de cimetières improvisés. Ce regroupement a permis d’inventer une organisation spatiale inédite, de créer un objet architectural qui soit davantage qu’un simple alignement de tombes. »(3)
La question du statut juridique est donc soumise au projet du cimetière militaire créé selon des règles nationales et, ensuite, à des accords bi ou multilatéraux qui organisent la mise à disposition des terrains alloués aux lieux de sépultures.
Le sort des morts à l’étranger est réglé par les traités de paix. Ainsi, les articles 225 et 226 du Traité de Versailles prévoient la recherche des tombes, l’entretien des cimetières et le rapatriement des corps. « les Gouvernements alliés et associés et le Gouvernement allemand feront respecter et entretenir les sépultures (…) sur leurs territoires respectifs. Ils s’engagent à reconnaître toute commission chargée par l’un ou l’autre des Gouvernements (…) d’identifier, enregistrer, entretenir ou élever des monuments convenables (sic) (…) et à faciliter à cette Commission l’accomplissement de ses devoirs. Ils conviennent en outre de se donner réciproquement sous réserve des prescriptions de leur législation nationale et des nécessités de l’hygiène publique, toutes facilités pour satisfaire aux demandes de rapatriement des restes de leurs soldats et de leurs marins ». (ndr : je souligne, nous sommes dans ce qu’on appelle les dispositions de police administrative dite préventive auxquelles sont tenues les autorités locales ou provinciales dans notre pays) (Béatrix Pau p. 182 citant le traité). La plupart du temps ce sont des entreprises privées qui se chargent de cela.
Un cimetière militaire n’est donc pas un cimetière de statut administratif ordinaire, mais il est soumis aux règles et aux ormes du territoire qui l’accueille. La mise à disposition se fait selon le mode de concession à perpétuité, mais les accords internationaux règlent les droits et devoirs des pays dont les soldats sont inhumés et des pays qui les accueillent. France et Belgique ont de multiples exemples de ce genre d’organisation.
Il ne faut pas y voir, sauf en de rares exceptions, un statut d’extra-territorialité des sites. Les USA, en Normandie, ou le Royaume Uni, dans le Nord de la France et en Belgique, disposent de terrains qui leur sont accordés sans qu’ils y soient sur leur territoire national. Cela signifie entre autre que les dispositions légales ou réglementaires, en matière de police sanitaire ou administrative, sont toujours celles des autorités locales ou nationales du ressort. On sait que toute soustraction au territoire national est par ailleurs soumis au vote d’une loi par le pouvoir législatif. (Art. 7 de la Constitution belge : « Les limites de l'État, des provinces et des communes ne peuvent être changées ou rectifiées qu'en vertu d'une loi ».
Les accords entre Belgique et France garantissent à la France la libre jouissance des terrains constituant l’assiette du cimetière et qui leur sont concédés. Les autorités françaises gèrent le terrain selon les règles qu’ils appliquent à leurs cimetières militaires, y font travaux et aménagement selon leurs pratiques et principes d’organisation. Le terrain reste cependant la propriété de l’autorité nationale.
Ces accords permettent aussi à l’autorité française en charge de l’entretien des tombes de gérer celui-ci et l’ensemble des aménagements nécessaires ou souhaités selon un mode de mise en œuvre qu’elle choisit.
Ainsi, soit un accord avec l’autorité locale délègue à celle-ci l’entretien courant, mais les aménagements plus importants sont réalisés à l’initiative de l’autorité française par des intervenants externes, soit un comité est chargé de gérer les cimetières, soit une entreprise est choisie selon une procédure de marchés publics et se trouve en charge de l’ensemble des opérations.
A Charleroi, par exemple, un carré militaire français relève d’une convention d’entretien passée par l’ambassade avec la ville alors que le carré britannique relève d’une gestion par l’ambassade qui envoie une entreprise pour la gestion concrète du terrain. Il s’agit là d’un cimetière communal dont une partie est concédée aux autorités nationales dont dépendent les sépultures militaires. Les règles administratives du cimetière communal s’y appliquent, sauf dispositions spécifiques liées aux conventions internationales et à la convention avec la ville de Charleroi (organisation spatiale des tombes et des monuments, architectures, signalétique).
L’aspect « police administrative » est lié au statut territorial national décentralisé du site. Ainsi, le terrain concédé est soumis aux règles d’hygiène et de surveillance du territoire applicables aux cimetières communaux. L’accord le définit, et définit également le mode de transfert, d’exhumations, de déplacements des corps.
Ainsi, l’organisation des cérémonies se fait selon les règles de police applicables sur le territoire communal. Les autorisations liées aux commémorations sont demandées auprès des autorités locales compétentes. Ainsi en est-il pour la Belle-Motte, et les organisateurs des commémorations, relevant du comité Royal du Souvenir de Le Roux et du Souvenir français, comité régional de l’Entre-Sambre-et-Meuse, s’adressent aux autorités d’Aiseau-Presles, qui sont compétentes pour l’administration territoriale de l’assiette, comme tout organisateur d’événement privé le fait. Toute intervention de police, au sens préventif ou répressif, est donc de la compétence « ratione loci » (en raison du lieu) et de la compétence « ratione materiae » (en raison de la matière et du domaine juridique) dont sont titulaires les autorités communales du ressort.
Le cas de la Belle-Motte est particulier du fait de sa dépendance d’un comité de Le Roux, pour la gestion déléguée des missions mémorielles, et donc d’une collaboration avec les autorités et l’administration communale de Fosses-la-Ville, mais aussi des autorisations et de l’aide logistique des autorités de la commune d’Aiseau-Presles. Il ne s’agit pas d’un cimetière communal, comme à Charleroi mais bien d’un cimetière concédé aux bénéfices des soldats français, mais l’autorité administrative y a les mêmes pouvoirs, avec les spécificités liées à la fonction du terrain concédé.
Pour conclure, l’implication, la gestion et l’administration, et l’action des autorités nationales françaises, via l’ambassade et, le comité de Le Roux et le Souvenir Français, se fait sur un terrain concédé dont la jouissance est garantie et dont la dépendance juridique et administrative revient à l’autorité locale qui doit autoriser les activités liées à une manifestation publique et y assurer ses missions en tant qu’autorité décentralisée.
Si dans le futur, l’ensemble des tombes et des ossuaires devait être transféré ou retourner dans un cimetière en France, le terrain reviendrait immédiatement au propriétaire, puisqu’il n’aurait plus de raison d’être concédé. Mais ceci est évidemment totalement théorique !
Le 27 janvier 2022.
Références :
- Antoine Prost | LES CIMETIÈRES MILITAIRES DE LA GRANDE GUERRE, 1914-1940 | La Découverte | « Le Mouvement Social » 2011/4 n° 237 | pages 135 à 151 ISSN 0027-2671 ISBN 9782707170019 Article disponible en ligne à l'adresse https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social1-2011-4-page-135.htm Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays.
- Marie Christine BUTEL, Consul général de France à Bruxelles, Analyse synthétique des nécropoles militaires françaises (Belgique) 16.04.2014.
- GENEAWIKI, Nécropoles et cimetières militaires en France (et à l’étranger), 26.05.2021, lié à la fiche « Belle Motte ».
- Béatrix Pau, Le Ballet des morts, Librairie Vuibert, 2016.
- Code de la Démocratie locale et de la décentralisation, Région wallonne (site wallex).
- Jean Paul Pancracio, Le statut des nécropoles militaires étrangères, l’Observatoire de la diplomatie, 04.06.2017.
- Constitution belge version coordonnée 01.2022.
(1) Béatrix Pau, « Le Ballet des Morts » , Editions Vuibert, paru le 27 janvier 2016 (p.62).
(2) La Commonwealth War Graves Commission (CWGC) est une autorité administrative indépendante responsable du dénombrement, de l'identification et de l'entretien des tombes des soldats des forces militaires des États du Commonwealth tombés lors des deux guerres mondiales et responsable de la construction de mémoriaux pour les soldats non identifiés. La CWGC porte ce nom depuis 1960, auparavant, elle se dénommait la Imperial War Graves Commission qui avait été fondée en 1917 à la suite de la Graves Registration Commission.
(3) Extrait de « Les cimetières militaires de la Grande Guerre, 1914-1940 » Antoine Pros dans "Le Mouvement Social 2011/4 (n° 237), pages 135 à 151.
Les différents cimetières militaires français 14-18 et 40-45 implantés dans le sillon de l'Entre-Sambre-et-Meuse.
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